« Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu ne demandais ni holocauste ni victime… » : curieuse phrase dans un psaume quand on sait que les psaumes, justement, étaient faits pour être chantés au Temple de Jérusalem au moment même où on offrait des sacrifices !
En fait on voulait dire par là : je sais, Seigneur, que ce qui compte le plus à tes yeux, ce n’est pas le sacrifice en lui-même, c’est l’attitude du coeur qu’il représente. « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice, tu as ouvert mes oreilles ; tu ne demandais ni holocauste ni victime alors j’ai dit : Voici, je viens. »
Toute la Bible est l’histoire d’un long apprentissage et, avec ce psaume 39/40, nous sommes à la phase finale de ce qu’on peut appeler la pédagogie des prophètes. (…)
Au long des siècles, il y a eu une véritable transformation, on pourrait dire une conversion du sacrifice. Cette conversion (…) va porter sur le sens des sacrifices : dans la Bible, au fur et à mesure que l’on découvre Dieu, les sacrifices vont évoluer. En fait, on pourrait dire : « Dis-moi tes sacrifices, je te dirai quel est ton Dieu ». Notre Dieu est-il un Dieu qu’il faut apprivoiser ? Dont il faut obtenir les bonnes grâces ? Auprès duquel il faut acquérir des mérites ? Un Dieu courroucé qu’il faut apaiser ? Un Dieu qui exige des morts ? Alors nos sacrifices seront faits dans cet esprit là, ce seront des rites magiques pour acheter Dieu en quelque sorte.
Ou bien notre Dieu est-il un Dieu qui nous aime le premier… un Dieu dont le dessein n’est que bienveillant… dont la grâce est acquise d’avance, parce qu’il n’est que Grâce… le Dieu de l’Amour et de la Vie. Et alors nos sacrifices seront tout autres. Ils seront des gestes d’amour et de reconnaissance. Les rites ne seront plus des gestes magiques mais des signes de l’Alliance conclue avec Dieu.
Toute la Bible est l’histoire de ce lent apprentissage pour passer de la première image de Dieu à la seconde. C’est nous qui avons besoin d’être apprivoisés, qui avons besoin de découvrir que tout est « cadeau », qui avons besoin d’apprendre à dire simplement « Merci » (Ce que la Bible appelle le « sacrifice des lèvres »). Toute la pédagogie biblique vise à nous faire quitter la logique du « donnant-donnant », du calcul, des mérites, pour entrer dans la logique de la grâce, du don gratuit. Et notre apprentissage n’est jamais fini.
L’ultime étape de cette pédagogie des prophètes nous présentera l’idéal du sacrifice : c’est le service de nos frères. Nous trouvons cela dans les quatre « Chants du Serviteur » qui sont inclus dans le deuxième livre d’Isaïe. L’idéal du Serviteur qui est l’idéal du sacrifice, c’est « une vie donnée pour faire vivre ». Le psaume 39/40 résume donc admirablement la découverte biblique sur le Sacrifice : « Tu ne voulais ni offrande ni sacrifice … Tu as ouvert mes oreilles » : depuis l’aube de l’humanité, Dieu « ouvre l’oreille » de l’homme pour entamer avec lui le dialogue de l’amour ; le psaume 39/40 reflète le long apprentissage du peuple élu pour entrer dans ce dialogue : dans l’Alliance du Sinaï, les sacrifices d’animaux symbolisaient la volonté du peuple d’appartenir à Dieu ; dans l’Alliance Nouvelle, l’appartenance est totale : le dialogue est réalisé ; offrandes et sacrifices sont « spirituels » comme dira Saint Paul ; « Tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit voici, je viens ».
Marie-Noëlle Thabut
Cette parole de sagesse tirée de l’Ancien-Testament (livre de Qohèleth – ou Ecclésiaste, chapitre 3) semble être aussi un des messages du passage d’évangile qui relate le baptême du Christ. En effet, Jean-Baptiste qui voit venir Jésus à lui dans le Jourdain pour se faire baptiser a cette réflexion pleine de sens : « C’est moi qui ai besoin d’être baptisé par toi et c’est toi qui viens à moi ! ». Jésus lui-même affirme plus loin dans l’évangile (Luc 12, 50) : « Je dois recevoir un baptême et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! ». Mais en réalité, Jésus prend le temps et ne précipite pas les choses. à sa mère qui le presse de faire quelque chose pour les invités des noces de Cana qui manquent de vin, il répond : « mon heure n’est pas encore venue » (Jean 2, 4). Oui, Jésus est venu pour accomplir. Mais accomplir signifie mener à terme un processus qui nécessite un commencement et un développement par étapes avant de parvenir à cet accomplissement. Être baptisé par Jean est pour Jésus une étape nécessaire en vue de l’accomplissement de sa mission : « Laisse faire pour le moment, car il convient que nous accomplissions ainsi toute justice ». On n’installe pas le toit d’une maison avant les fondations.
En prenant notre humanité par son incarnation, le Fils de Dieu ne rentre pas seulement dans notre espace humain, il embrasse aussi notre temps. Lui qui est éternel, il entre dans le temps et compose avec le temps pour accomplir sa mission. Il y a donc pour Jésus aussi un temps pour tout. Un temps pour naitre et un temps pour mourir. Un temps pour être baptisé par Jean et un temps pour laisser jaillir l’eau de son côté ouvert et donner un nouveau baptême dans l’Esprit-Saint. Un temps pour laisser l’Esprit de Dieu descendre sur lui comme une colombe au Jourdain et un temps pour envoyer ce même Esprit de Dieu sur les apôtres à la Pentecôte sous forme de langues de feu. Un temps pour être plongé lui-même dans l’eau du jourdain pour assumer la condition mortelle des pécheurs et un temps pour marcher sur l’eau et signifier qu’il est déjà vainqueur de la mort.
Pour nous aussi, en ce qui concerne l’accomplissement de notre vie, il y a un temps pour tout. Le temps ne passe ni trop vite ni trop lentement. Le temps nous est donné par Dieu, exactement comme nous en avons besoin, pour que puisse s’accomplir sa parole pour nous et en nous. Nous avons le temps pour tout ce qui est nécessaire. A condition, bien sûr, de faire les choses dans l’ordre ! Et avec notre Père, qui nous donne chaque jour notre pain quotidien !
D. Martin PANHARD
Après l’entrée discrète de Dieu sur Terre, dans une crèche, et dans l’intimité de quelques bergers et de la Sainte Famille, nous fêtons, à l’Epiphanie, la manifestation de Jésus au monde. Cette visite des mages nous aide à approfondir et élargir notre regard sur la crèche, puisqu’elle annonce déjà la dimension universelle du salut, voulue par le Christ, et plus tard portée par saint Paul. Ces mages viennent honorer le roi des juifs, c’est-à-dire un roi qui n’a, a priori, aucune autorité sur eux ; et pourtant, ils rendent hommage à celui qui réalise la prophétie d’Isaïe : « Je fais de toi la lumière des nations, pour que mon salut parvienne jusqu’aux extrémités de la terre » (Isaïe 49, 6).
Mais si la nuit de la nativité semble s’être déroulée discrètement en Judée, puisque Hérode lui-même n’a pas réussi à localiser l’événement, les mages nous font dire : « attention, ce qui se passe là est grand, plus grand que ce qui pourrait sembler ! » Malgré les apparences, cette naissance à Bethleem a radicalement changé le monde. Les mages viennent ainsi saluer la présence de Dieu parmi les hommes, en suivant cette étoile qui leur indique l’endroit où se trouve le roi des juifs. En regardant ces hommes, nous apprenons à entrer, à notre tour, dans ce sentiment de révérence, de vénération, que l’on déploie par la vertu de religion, bien loin de la curiosité superstitieuse d’Hérode. Ce sentiment, nous l’éprouvons lorsque nous sommes en présence de Dieu, en particulier, lors de nos adorations eucharistiques : l’étoile de l’ostensoir, comme celle des mages, vient nous rappeler que Jésus est là présent. Malgré la pauvreté du pain de l’hostie, quelque chose de plus grand se passe. Et comme les mages, nous sommes invités à déposer aux pieds de l’enfant Jésus, l’or, l’encens et la myrrhe , c’est-à-dire les joies, les prières et les peines qui font notre vie.
Mais les mages nous enseignent surtout que la rencontre avec Jésus change la vie : ils ne repartent pas par le même itinéraire, une fois qu’ils ont trouvé et adoré l’enfant. Ils regagnent leur pays par un autre chemin, nous dit l’Evangile. Il y a ainsi un avant et un après la rencontre du Christ, lorsque celle-ci est authentique. Reconnaître Jésus pour ce qu’Il est, Fils de Dieu et Sauveur des hommes, ne peut rester quelque chose d’anodin pour nos existences. C’est souvent exigeant, parce qu’il est toujours difficile de prendre une route nouvelle, mais comme pour les mages, il y a là la source d’une très grande joie.
Après la (douce) nuit de Noël, la dureté du monde à sauver apparaît avec toute sa violence dans cet évangile de Saint Matthieu. En effet la peur et la jalousie maladive d’Hérode se transforme en traque sanguinolente. L’enfant Jésus est, aux yeux du Roi, une menace pour la pérennité de son règne. Le Ciel, alors, intervient en faisant apparaître à Joseph l’ange du Seigneur. Une deuxième fois, Joseph, par sa foi et son obéissance va sauver le sauveur. On se souvient en effet, que la loi du Deutéronome
(Dt 22,20) prévoyait la lapidation des femmes promises en mariage et qui se retrouvaient enceintes d’un autre homme. Dans l’évangile de ce dimanche, Joseph emmène la sainte famille en Égypte pour sauver de nouveau Jésus.
Saint Joseph est loin de la figure de « plâtre et de papier » que nous pourrions avoir ! Avec la foi, la force et le silence de Saint Joseph, nous pourrions retenir trois choses de cette fête de la Sainte famille.
On peut servir Dieu en suivant sa vocation de Père. Quelle bonne nouvelle pour tous nos pères ! « Sa paternité, nous dit Jean Paul II dans Redemptoris custos, s’est exprimée concrètement dans le fait « d’avoir fait de sa vie un service, un sacrifice au mystère de l’Incarnation et à la mission rédemptrice qui lui est liée ; d’avoir usé de l’autorité légale qui lui revenait sur la sainte Famille, pour lui faire le don total de lui-même, de sa vie, de son travail ; d’avoir converti sa vocation humaine à l’amour familial en une oblation surnaturelle de lui-même, de son coeur et de toutes ses forces à l’amour mis au service du Messie qui naquit dans sa maison. » La paternité de Saint Joseph est un modèle de don de soi. Portons un regard de foi sur nos pères et aidons les, particulièrement dans le contexte actuel, à toujours plus re-choisir leur vocation de père.
La deuxième attention sera sur le travail. En effet, après la fuite en Égypte, la sainte famille s’installera à Nazareth dans une vie cachée et humble. Jésus, qu’on appellera le fils du charpentier (Matthieu 13,55), apprendra tout de son père. C’est dans cette période que Jésus grandira en Grâce et en Sagesse. Pour nous, cela veut dire que le travail, et particulièrement le travail manuel, est humanisant. Les vertus attachées à lui nous rappellent « pour être de bons et authentiques disciples du Christ, il n’y a pas besoin de « grandes choses » : il faut seulement des vertus communes, humaines, simples, mais vraies et authentiques. »
Enfin le silence de Joseph nous invite à la contemplation. En effet ce silence n’est pas un silence de mort, mais habité de foi. Ce silence nous en dit long sur la vie intérieur de Saint Joseph ! « Les évangiles parlent exclusivement de ce que « fit » Joseph, mais ils permettent de découvrir dans ses « actions », enveloppées de silence, un climat de profonde contemplation. Joseph était quotidiennement en contact avec le mystère, « caché depuis les siècles », qui « établit sa demeure sous son toit. »
La réactivité de saint Joseph, son obéissance dans la foi trouvent leur origine dans son intériorité. Rien de plus fécond pour nous que de nous replonger dans une vie d’oraison et de contemplation.
Puisse ce temps de Noël nourrir notre amitié pour Saint Joseph, grand protecteur de l’église.
D. Christophe GRANVILLE
Un jeune couple dans un monde en pleine mutation, nous en connaissons tous : des visages nous apparaissent, avec leur nom, leur histoire. Déjà, la crainte peut nous saisir : quel avenir pour cet homme et cette femme ? Quel avenir pour leurs enfants si jamais ils en ont ? Beaucoup de ceux qui les entourent, trouvent que c’était mieux avant, peut-être ont-ils raison.
Le pays qui les a vus naître, n’est plus que l’ombre de lui même. Les rois d’autrefois choisis par Dieu et recevant l’onction, sont morts. Les décisions essentielles sont prises ailleurs, l’indépendance semble un passé révolu. Les frontières, enjeu majeur pour des générations d’anciens, sont désormais abolies… L’heure n’est plus au rêve mais à la nostalgie.
La religion, facteur majeur de l’unité du peuple, est peu suivie. Les lieux les plus sacrés de la religion ont été profanés voici deux siècles. Même rénovés, ils n’attirent plus beaucoup de monde. D’autres courants religieux et philosophiques, anciens ou nouveaux, souvent d’origine orientale, forment un pluralisme confessionnel qui réjouit beaucoup de penseurs du temps. Les autorités religieuses traditionnelles paraissent marginalisées. Les prêtres, réputés intercesseurs entre Dieu et les hommes, sont âgés, les pratiquants peu nombreux et minoritaires. Certes, ils sont souvent fervents mais ils sont divisés en plusieurs sensibilités, marquées par des choix politiques différents.
Ce jeune couple semble peu concerné par tout cela. Lui travaille, plutôt bien d’ailleurs. Cela suffit pour vivre. Ni richesse, ni pauvreté. Elle tient la maison, rendant service aux proches comme aux voisins. Ils n’appartiennent pas à cette plèbe qui vit assistée depuis longtemps des largesses de l’Etat ou de quelques puissants. Il suffirait de peu de choses pour basculer dans la précarité.
Justement, les évènements se précipitent : s’annonce un enfant à naître.
Pas vraiment le moment. D’obscures décisions venues d’en haut imposent un déménagement. Tout bascule. La solidarité familiale ne joue plus.
Débrouillez-vous ! Où est Dieu dans tout cela ?
Notre jeune couple ne semble pas s’effrayer de tout cela. Etrangement, il n’a pas peur, ni du présent, ni de l’avenir.
Tout ce qui a été décrit précédemment, s’est passé voici deux millénaires. Lui s’appelle Joseph, elle Marie.
Ils ne subissent ni les évènements ni l’irruption de Dieu dans leur vie, ils les épousent. Joseph aurait pu maugréer comme Jérémie ou douter comme Zacharie, Marie hésiter voire refuser. Au lieu de se plaindre du monde, ils l’aiment, certainement sans illusion mais sans rancœur ni prétention. N’est-ce pas un peu la manière de Dieu d’aimer les hommes tels qu’ils sont ? Cela ne veut pas dire qu’il renonce à les voir se convertir et ainsi leur offrir le salut.
La figure même de Joseph et de Marie nous incite à ne pas faire dépendre notre foi des évènements du monde. La sainteté de ces deux êtres s’exprime par leur étonnante liberté que l’on découvre dans leur agir quotidien comme dans leur prière. Ils n’ont pas peur du monde qui est le leur. L’Incarnation nous rappelle que Dieu, non plus, n’a pas eu peur de venir précisément dans un monde qui meurt, en s’anéantissant (Philippiens 2,7-8).
Noël signifie que Dieu nous porte de la Crèche jusqu’à la Croix de son Fils.
Depuis Bethléem, il n’y a aucune réalité humaine étrangère au Christ.
Avant nous, Marie avait compris de l’ange que « rien n’est impossible à Dieu »
(Luc 1,37) : que cette promesse soit une des lumières de Noël.
D. Stéphane PELISSIER
Le contraste est saisissant entre l’évangile de ce dimanche et celui de dimanche dernier ! Nous avons rencontré la figure de Jean-Baptiste dimanche dernier. Celui-ci était plein de zèle et de fougue en appelant au baptême de conversion dans l’eau du Jourdain. Vêtu pauvrement, nous voyions en lui un modèle d’homme libre. Libre du regard des autres, libre dans sa parole, libre dans sa relation à Jésus qui viendra aussi se faire baptiser bien que Jean-Baptiste ne se sente pas digne de défaire la courroie de ses sandales. Libre, aussi, par rapport à lui-même et, enfin, libre d’annoncer la venue imminente du Christ : « il vient derrière moi celui qui est plus grand que moi ».
Et voilà que ce dimanche il est de nouveau fait mention de Jean-Baptiste mais… dans sa prison. L’homme libre du désert est à présent dans les geôles du roi Hérode. Il le doit à sa liberté de parole même envers le roi : « tu n’as pas le droit de prendre la femme de ton frère ». Dans cette prison, il sera finalement décapité. Pourtant, dans ce contexte aux allures dramatiques, Jésus ne semble pas inquiet. On pourrait s’attendre à lire dans l’évangile un trait de compassion à l’égard de son cousin Jean-Baptiste. Il y a entre les deux un lien familial et d’amitié fort, comme il y en avait un entre leurs mères Marie et Elizabeth. En fait, Jean-Baptiste ne s’inquiète pas de son sort. De sa prison, il envoie ses disciples vers Jésus. Non pas pour que celui-ci le sorte par miracle de sa prison mais plutôt pour savoir si le Messie va enfin se manifester. C’est cela qui importe. Et Jésus lui répond ce qui sera de nature à le combler : « Allez annoncer à Jean ce que vous entendez et voyez : Les aveugles retrouvent la vue et les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts ressuscitent et les pauvres reçoivent la Bonne Nouvelle. Heureux celui pour qui je ne suis pas une occasion de chute ! ».
Peut-être pouvons-nous retenir cela : il n’y a pas de circonstances meilleures que d’autres pour recevoir Jésus et vivre de sa vie. Jean-Baptiste n’est pas moins libre quand il est en prison que quand il crie dans le désert. Dans chaque situation, il accomplit sa mission : il est tourné vers Jésus, il le montre et y conduit ses disciples. En ne relâchant pas son attention vers Jésus, en ne la faisant pas dépendre des circonstances, il accomplit sa vocation profonde et y trouve sa joie. Nous aussi, pendant ce temps de préparation à Noël, ne nous cachons pas derrière de mauvais prétextes pour différer notre marche vers Jésus. Aucune condition n’est défavorable. Jésus vient pour tout sauver !
D. Martin PANHARD
La figure tutélaire du temps de l’Avent s’avance : Jean le Baptiste. Isaïe, cité dans l’évangile dominical, parle de la « voix de celui qui crie dans le désert » (Is 40,3 et Mt 3,3). Cette voix est comme celle du rugissement d’un lion.Pour cette raison, l’évangéliste Marc qui commence son récit directement par la prédication du Baptiste, se voit attribué le symbole du lion.
Dans le judaïsme, Jean est prêtre (cohen) et fils de prêtre (Zacharie), il a donc une proximité toute particulière au Temple et à la réalité du sacrifice. Son sacerdoce lévitique (issu de la tribu de Lévi) implique une pureté (il doit s’abstenir de tout ce qui rend impur, comme toucher un cadavre) et le rend purificateur de la souillure des autres. On comprend beaucoup mieux son style de vie (peau de chameau, sauterelles et miel) ainsi que le contenu de sa prédication axée sur la dénonciation du péché avec en parallèle la nécessaire conversion qui purifie et transforme.
Ayant alors pleinement conscience de sa mission de Précurseur du Messie, il initie un baptême qui dépasse les rites d’immersion connus dans le judaïsme (baptême des Prosélytes – païens adhérant à la foi juive – et celui des Esséniens) comme dans les religions anciennes. A la différence des précédents, il vise une purification non plus rituelle mais morale, il ne se répète pas (il devient une initiation) et surtout a une valeur messianique : il introduit celui qui l’a reçu dans la communauté de ceux qui attendent activement la venue annoncée du Messie. Son efficacité est réelle mais non sacramentelle. L’eau certes purifie mais le feu, moyen moins matériel et plus efficace que l’eau, devient le symbole de l’intervention de Dieu. Dans l’Ancien Testament, le feu de Dieu était déjà descendu du ciel à plusieurs reprises pour purifier ou consumer.
Voulons-nous être purifiés ou consumés ? Le feu de la Géhenne consume à jamais ce qui ne peut être purifié. La vallée de la Géhenne est associée à la pratique d’infanticides rituels dans le feu. Elle est ensuite convertie en dépotoir dont la pestilence émane à des lieues à la ronde, elle fut également réputée pour être le lieu de réclusion des lépreux et pestiférés. Pour les juifs, elle n’est qu’un lieu de passage, voire la dénomination d’un processus de purification des âmes. Avec le Christ, elle devient synonyme de l’enfer éternel.
Pendant un certain temps, Jean et Jésus ont mené une même action ; l’un et l’autre ont baptisé ; l’évangile de Jean rapporte en effet que « Jésus vint avec ses disciples aux pays de Judée et il y baptisait ; Jean baptisait aussi à Aenon près de Salim où les eaux sont abondantes » (Jn 3, 22-23). Leur pratique était fondée sur ce que Jean avait fondé. S’il existait des rites de purification par ablution d’eau, il n’existait pas de baptême au sens propre du terme, car le baptême donné par Jean – et à sa suite par Jésus – implique une relation personnelle à celui qui baptise. Le baptême est le sacrement de la conversion personnelle. Le baptême de Jean et celui de Jésus impliquent une conversion, une rupture avec le mensonge et l’illusion. Pour cette raison, Jean-Baptiste dénonce les catégories sociales emblématiques de ceux pour qui l’appartenance religieuse dispense de la conversion personnelle, les sadducéens et les pharisiens (Mt 3, 7-10).
Profitons de l’Avent pour nous replonger dans la grâce de notre baptême, pour nous laisser purifier par le feu de son Amour et pour renouveler notre attente de la rencontre avec le Christ. D. Stéphane PELISSIER
Depuis le dernier édito, la Parousie n’a plus de secrets pour vous ! Elle est cette présence de Dieu et les textes de ce premier dimanche de l’Avent sont surprenants. Ils semblent reprendre le thème des fins dernières qui nous a accompagnés au mois de novembre. Comment alors comprendre cette insistance ? L’Eglise nous invite à regarder la fin de notre vie chrétienne où Dieu sera présent, tout en tous, afin de vivre ici-bas polarisé par le désir du Ciel.
Cette présence nous rappelle deux choses : elle a déjà commencé mais aussi, précisément, cette présence n’a que commencé ! Par notre vie nous sommes appelés à la faire grandir, la rendre encore plus visible. Voyons comment !
Ce temps de l’Avent est pour nous un temps offert par Dieu. Si le Seigneur cherche aujourd’hui à faire rayonner sa présence aimante dans notre monde, nous comprenons que l’Avent n’est pas un temps d’attente. Nous devons activement rendre visible cette présence de Dieu par notre foi, notre espérance et notre amour ! Rien n’est trop petit pour la Grâce de Dieu ! Rien qu’elle ne puisse rendre fécond ! Offrons lui tout ce que nous sommes ! A l’image de Marie qui dit son « Fiat voluntas tua », laissons l’Esprit Saint nous prendre sous son ombre. Laissons Dieu nous redonner sa vie. Derrière cela nous découvrons à quel point la vie de prière personnelle est importante. N’ayons pas peur de soigner notre vie intérieure. Reprenons paisiblement notre oraison, notre chapelet ou la méditation de l’évangile du jour ! Nous retrouvons cette invitation lorsque l’évangile de ce dimanche nous invite à veiller.
Nous rendrons également visible la présence de Dieu par la conversion de nos vies ! Saint Paul dans la lettre aux Romains nous y invite : « Rejetons les œuvres des ténèbres, revêtons-nous des armes de la lumière ». Cette conversion du cœur et de l’esprit s’appelle metanoia. Elle est à la fois un changement de sens, un changement de pensée, un repentir, une pénitence, un changement de vie. Il y a une radicalité dans la conversion évangélique ! Nous pouvons demander cette grâce de courage à nous convertir. Ce courage de rompre avec le sommeil de notre âme. Seul ce courage nous donnera la liberté de suivre intensément Jésus. Alors, le changement constant qu’exige notre vie Chrétienne rendra possible la fidélité. Nous aurons le courage de changer les penchants naturels de notre vie pour faire émerger un « oui » à la grâce. Il est difficile de comprendre cela, mais la conversion est tout à la fois une grâce de Dieu, une exigence et un devoir. Le champ d’action d’ailleurs ne sera pas fait de circonstances exceptionnelles mais se trouvera dans notre vie quotidienne.
Enfin, la dernière manière de rendre visible la présence de Dieu ici bas passera par notre joie. Le psaume de ce dimanche est merveilleux ! Laissons la joie de Dieu nous saisir ! Elle est particulièrement communicable. Que ce nouvel Avent fasse davantage venir le Christ dans nos vies pour le rendre visible au monde c’est la grâce que nous pouvons demander vraiment les uns pour les autres ! Bon Avent !
D. Christophe GRANVILLE
Nous voici arrivés au dernier dimanche de l’année liturgique et l’église, pour nous y introduire, nous fait méditer sur ce qui doit être pour nous objet d’espérance : la parousie.
Ce mot grec que la théologie emploie pour parler de la Venue du Christ en gloire à la fin des temps, veut dire : « présence ». Ce terme préexistait à son usage théologique. Il était utilisé dans le monde antique pour parler de l’arrivée du souverain en visite officielle. Cette arrivée du roi, sa parousie, était précédée de toute une mise en scène durant laquelle, pendant plusieurs semaines, on portait son portrait dans les rues de la ville. C’était un moyen de faire comprendre que le souverain était partout présent et pas seulement là ou l’on percevait sa présence physique. La parousie était donc pour un roi, un moyen de manifester sa présence à son peuple afin d’asseoir sa puissance.
Or si le terme de parousie a été repris par l’église pour parler de la venue du Seigneur, c’est qu’elle nous dit quelque chose du retour en gloire de Jésus.
Le Christ, lors de sa parousie, sera manifesté à toute sa création dans toute sa puissance : «Comme l’éclair, en effet, part du levant et brille jusqu’au couchant, ainsi en sera-t-il de l’avènement du Fils de l’homme ».
(Matthieu 24, 27)
Toutefois la comparaison entre la parousie d’un souverain et le retour en gloire de Jésus diffère en ceci : le souhait d’omni-présence d’un despote ne sera jamais qu’un fantasme (jamais aucun portrait ne le rendra véritablement présent à son peuple) alors que la parousie du Christ est déjà une réalité. Nous sommes d’ailleurs appelés à en faire quotidiennement l’expérience : Jésus est là ! Il est présent ! Même si « La venue du Royaume de Dieu ne se laisse pas observer, (…) voici que le Royaume de Dieu est au milieu de vous », nous dit Jésus (Luc 17, 21).
Et je crois qu’il est vital pour un chrétien, tout spécialement dans une société laïque, de savoir lire les signes de la présence divine.
Chaque fois que nous contemplons un beau couché de soleil, un sommet enneigé ou tout autre splendeur que nous réserve la création, nous contemplons l’œuvre de Dieu qui reste présent à sa création.
Le rôle de nos églises, de nos statues et de tout autre objet religieux, n’est pas de rendre présent un absent, mais de manifester sa présence !
Enfin rappelons nous que lorsque nous prions, particulièrement lorsque « deux ou trois sont réunis en son nom » (Matthieu 18,20) c’est bien Jésus qui est au milieu de nous.
Si nous vivons en sa présence, nous serons prêts lorsqu’il se manifestera.
Cette manifestation, cette parousie ne sera alors pour nous, qu’une apocalypse, c’est à dire littéralement : la levée d’un voile ! Attachons nous donc à déceler sa présence derrière le voile, c’est à dire derrière tous les événements de nos vies. Recevons chaque instant comme venant de Dieu.
Sainte Jeanne de Chantal résumait cela en une formule saisissante :
« Si vous ne chercher que Dieu vous le trouverez partout ! » Alors, oui, puissions-nous être tendu vers la pleine manifestation de Dieu. Oui, laissons la parousie advenir pour nous ! Vivement l’apocalypse !
D. Louis-Marie
L’évangile nous présente Jésus au Temple avec ses disciples. Le Temple de Jérusalem est encore à ce moment-là le lieu privilégié de la rencontre avec Dieu et même le lieu de la présence de Dieu. Jésus y a été présenté par ses parents après sa naissance selon la loi de Moïse. Adolescent, il y va en pèlerinage et y reste même à l’insu de ses parents qui le retrouveront en train de faire la leçon aux docteurs de la loi. Pendant son ministère public, il s’y trouve fréquemment pour enseigner. Enfin, c’est à proximité du Temple que Jésus va être arrêté, crucifié au moment même où dans le Temple on commence à sacrifier les agneaux pour la Pâque, puis va ressusciter.
Mais la relation de Jésus avec le Temple prépare une rupture fracassante. Jésus ne lui prédit pas un grand avenir. Il annonce clairement sa destruction prochaine et totale. Elle adviendra en effet environ quarante ans plus tard et il ne sera jamais relevé. Mais le propos de Jésus ne concerne pas le plan d’urbanisme de Jérusalem. Quand on lui parle du Temple et de sa beauté, il répond en parlant de lui… et de nous.
– de lui. Car ce qui va advenir au Temple en pierre figure ce qui va advenir de lui : il sera détruit. A la différence fondamentale près que Jésus va s’en relever en ressuscitant d’entre les morts. Il l’avait annoncé : « Détruisez ce Temple et moi, en trois jours, je le rebâtirai ». Les disciples ne comprendront cette parole qu’après sa résurrection. En effet, le Temple dont parlait Jésus, c’était son propre corps. lorsque son corps est déchiré sur la croix, à quelques centaines de mètres, le rideau du Temple se déchire de haut en bas, attestant l’abolition du culte lié à ce Temple près de disparaitre définitivement et l’avènement de l’Alliance Nouvelle scellée dans le sang du Christ sur la croix. Il y a bien un Temple mais celui-ci n’est plus fait de main d’hommes. C’est Jésus lui-même en qui l’humanité est réconciliée avec Dieu. C’est en lui que Dieu habite pleinement parmi les hommes.
– de nous. Car nous avons pris conscience aussi que nous constituons nous-mêmes le nouveau Temple, en prolongement du corps du Christ. Tel est l’enseignement explicite de saint Paul : l’Eglise est le Temple de Dieu. Chaque chrétien est lui-même Temple de Dieu en tant que membre du corps du Christ. Voilà le Temple définitif qui n’est pas fait de main d’hommes : c’est l’Eglise, corps du Christ, lieu de la rencontre entre Dieu et les hommes, signe de la présence divine ici-bas. De ce Temple-là, l’ancien sanctuaire n’était donc qu’une figure, suggestive mais imparfaite, provisoire et maintenant dépassée. Nous pouvons comprendre les persécutions et autres maux que nous annonce Jésus dans cet évangile comme la garantie que nous sommes bien son corps ! En persévérant, nous subirons le même sort : nous garderons la vie !
D. Martin PANHARD