« Je ne suis pas venu abolir, mais accomplir la Loi et les prophètes. » Et « si vous vous contentez de la justice des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux. » Ces deux phrases de Jésus sont une introduction au discours qui suit, que l’on appelle “les antithèses” (« on vous a dit…, mais moi je vous dis… »), lequel se conclut (dimanche prochain) par cette phrase : « Vous serez donc parfaits comme votre Père du Ciel est parfait. »
Jésus voudrait du perfectionnisme ? Certes non. Il ne s’agit pas de vouloir y aller « à la force du poignet » : il s’agit d’une synergie entre Dieu et nous, ou mieux, de Dieu en nous. « L’amour de Dieu répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit en nous. » (Rm 5,5).
Il faut un effort de l’homme : « efforcez-vous d’entrer par la porte étroite »
(Lc 13,24), mais en sachant que « sans moi vous ne pouvez rien faire. » (Jn 15,5) Et cependant, comme dit Saint Augustin, « Dieu t’a créé sans toi, mais il ne te sauvera pas sans toi. » Sans notre bonne volonté, pauvre et minimale, Dieu ne peut pas nous sauver.
Une synergie. Dieu en nous, avec notre pauvre petite bonne volonté.
Et quelle est cette « justice des scribes et des pharisiens » ? De quoi Jésus parle-t-il ? Il parle d’un rapport à Dieu faussé. Un rapport à Dieu où le moyen est devenu une fin. Le moyen, c’est la Loi, expression de la volonté de Dieu. Pratiquer la loi pour être en rapport d’obéissance à Dieu, de conformité à sa volonté, pour être en rapport de filiation vis-à-vis d’un Dieu Père, qui ne veut pas la règle pour elle-même, mais pour qu’elle soit le moyen d’expression pour aller à Lui, pour entrer en communion de volonté avec Lui, pour une communion d’Amour et de Vie. Le légalisme idolâtre le moyen (ce qui permet à l’homme de s’idolâtrer lui-même) et le détourne de sa fin. La Loi pour elle-même, ce qui peut s’exprimer aussi : “du moment que je suis en règle, Dieu n’a rien à me reprocher”, sous-entendu : “il me fichera la paix et je garderai la saine distance vis-à-vis de cet être trop envahissant (parce que je préfère subtilement m’auto-diviniser)” ; et même davantage : “c’est moi qui acquiers des droits sur lui” : « cela fait tant d’année que je te sers sans jamais avoir transgressé un seul de tes ordres, je suis parfaitement en règle, donc… Donc j’ai donc des droits sur Toi et Tu as des devoirs envers moi. » (Cf Lc 15,28-29).
« Non, mon fils, tout le bien que tu as fait, c’est Moi qui l’ai fait en toi, dans la mesure où tu m’as laissé faire. Ne pense pas avoir des droits sur moi mais pense à me rendre grâce d’être resté en grâce jusqu’à ce jour. » Et l’on suppose que ce « fils aîné », ce pharisien pur et dur, en effet, selon la fin de la parabole, « n’entre pas » dans la communion avec son Père. C’était le Père qui était pourtant sorti l’en supplier…
« La fin de la Loi, c’est le Christ » (Rm 10,4). La Loi n’est pas là pour elle-même mais pour amener au Messie, au Fils, à la Filiation. « Celui qui aime a accompli la Loi » (Rm 13,8) ; (“Rm”, cela veut dire “Epître de Saint Paul aux Romains”. Saint Paul, c’est un ancien pharisien qui a tout compris.)
Il faut que notre justice dépasse ce légalisme des scribes et des pharisiens, non pour de nouvelles manières d’être impeccablement en règle, même si la loi reste de l’ordre des moyens nécessaires – et insuffisants, mais pour accueillir l’Esprit de notre Père. « Combien le Père est prêt à donner l’Esprit-Saint à ceux qui l’en prient. » (Lc 11,13).
C’est pourquoi la prière du Notre Père est au centre de tout ce discours de Jésus sur la Montagne. Prier notre Père. Etre dans une attitude de pauvre. Heureux les pauvres de cœur, car ils ont la porte d’entrée dans le Royaume des Cieux.
Don Laurent LARROQUE