C’est de la vision qu’a eue Isaïe (Cf la première lecture de ce dimanche), que le chant du « Sanctus » est tiré. L’Eglise le met sur nos lèvres avant la consécration eucharistique. Chaque fois que nous le chantons, nous sommes comme « aspirés » au Ciel. Nous nous unissons à la liturgie céleste, celle que tiennent les séraphins devant la face du Seigneur : « Saint ! Saint ! Saint, le Seigneur Dieu de l’univers ! Le ciel et la terre sont remplis de sa gloire ! »
Toutefois, la sainteté a dans la bible un sens tout particulier. « Dire que Dieu est saint, c’est dire qu’il est Tout Autre que l’homme. Dieu n’est pas à l’image de l’homme, bien au contraire, la Bible affirme l’inverse : c’est l’homme qui est « à l’image de Dieu » ; ce n’est pas la même chose ! Toute la terre est remplie de sa gloire : cela veut dire que nous devrions rester très modestes et très prudents chaque fois que nous parlons de Dieu. Parce que Dieu est le Tout Autre, il nous est radicalement, irrémédiablement impossible de l’imaginer tel qu’il est, nos mots humains ne peuvent jamais rendre compte de lui »
« Si Dieu n’est pas une idole à notre image, il faut qu’il soit tellement élevé au-dessus de toute créature que toutes les idées empruntées au monde de notre expérience demeurent toujours à l’infini de son être », nous dit Zundel.
Ce constat de la transcendance de Dieu que nous sommes appelés à faire avec les Séraphins pourrait avoir quelque chose de désespérant. Un Dieu si grand, qui pourrait l’atteindre ? Comme le dit Isaie, Je dis alors : « Malheur à moi ! je suis perdu, car je suis un homme aux lèvres impures, j’habite au milieu d’un peuple aux lèvres impures et mes yeux ont vu le Roi, le Seigneur de l’univers ! »
Est-il possible ou souhaitable que je cherche à m’approcher de ce Dieu devant qui nul ne peut se tenir sans mourir ?
Heureusement, le chant du Sanctus ne s’arrête pas au cri des Séraphins, il continue : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, Hosanna au plus haut des cieux ! »
Or cette exclamation n’est plus celle des anges de la vision d’Isaie. Elle se trouve dans un tout autre passage de la bible. C’est ainsi que les habitants de Jérusalem accueillent Jésus qui entre dans la ville sainte monté sur le petit d’une anesse. L’Evangile nous raconte : « Ils disposèrent sur l’anon leurs manteaux et Jésus s’assit dessus. Alors les gens, en très nombreuse foule, étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient le chemin. Les foules qui marchaient devant lui et celles qui suivaient, criaient : Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur » Mt 21, 6-9.
Dans son génie, la liturgie juxtapose ces deux acclamations :
D’un coté, l’acclamation des anges qui s’inclinent devant le « trois fois saint » que nul ne peut nommer et de l’autre le Verbe divin qui s’offre à nous dans la fragilité de son humanité, entrant à Jérusalem, monté sur un ânon !
Les deux conceptions que l’on peut avoir de Dieu se retrouvent unies dans un même chant ! « Dieu si grand, Jésus si petit » disait le Cardinal Berulle.
« Le christianisme, tel qu’il est en son essence et tel qu’il vit dans la liturgie, a su concilier ces deux aspects du divin : l’être et l’amour et unir dans sa piété le sens de la transcendance ineffable de Dieu avec le sens de la plus tendre dilection.(…) Dieu reste l’océan infini de l’être. Mais il est tout autant l’océan infini de l’amour » disait Zundel
Même si Dieu est le « tout autre », Il s’est fait « l’Emmanuel » c’est-à-dire : le Dieu avec nous, le Dieu tout proche de nous ! C’est Lui qui dans son immense bonté, s’est abaissé pour que nous ne soyons jamais effrayés par la splendeur de Sa Gloire.
Sachons à chaque eucharistie, lorsque nous chantons le Sanctus, nous laisser saisir par ce mystère. Il s’agit bien de la même personne divine : simultanément, adorée par les anges et toutes les puissances célestes et venant à nous, cachée sous l’apparence du pain.
Don Louis Marie DUPORT