Chers paroissiens, la vie de l’église dépend beaucoup de la Mission. L’évangile de ce dimanche nous montre combien la mission n’est que le prolongement de l’œuvre de Jésus. Pour nous stimuler dans cette période estivale, voici quelques idées du Père Michel Guitton qui devraient nous renouveler dans notre désir missionnaire :
Le modèle de mission auquel le Christ Jésus convie les soixante-douze disciples qu’il envoie porter la Bonne Nouvelle ne semble guère trouver sa place dans le fonctionnement de l’Église actuelle. Depuis le IVe Concile du Latran (1215), le peuple chrétien est quadrillé en paroisses territoriales où chacun est censé trouver la nourriture de sa vie chrétienne. Bien sûr, il a longtemps existé des ordres de prêcheurs dont les membres allaient de villes en villages, mendiant leur pain et annonçant le Christ aux populations qu’ils rencontraient sur la route, mais on a fait ce qu’il fallait pour encadrer cette exception. Aujourd’hui, la mendicité n’a plus cours officiellement dans l’Église et les ordres apostoliques ont trouvé d’autres voies pour accomplir leur mission.
Faut-il pourtant perdre de vue la vision que le Christ nous présente, devons-nous nous replier derrière les murs de nos établissements, de nos sacristies ou de nos presbytères ?
La mission est toujours une désinstallation. Comme le disait le futur cardinal Urs von Balthasar : le centre de l’Église, c’est sa périphérie. L’Église n’est pas seulement faite pour gérer les besoins spirituels d’un groupe humain déjà constitué, elle est destinée à ceux qui ne font pas encore partie du troupeau et qui meurent de faim et de soif faute de connaître le Christ. Si nous attendons gentiment que les gens viennent à nous, entrent dans le cadre que nous avons préparé pour eux, nous risquons de ne jamais les voir. C’est pourquoi, à chaque renouveau spirituel, s’est opéré un appel inédit à aller sur les places et dans les rues pour crier, chanter, expliquer, consoler, exhorter… Le XXe siècle n’a pas manqué de connaître ce phénomène et nous vivons encore de la secousse des nouveaux courants spirituels que le saint Pape Jean-Paul II a officiellement reconnus comme les détonateurs de la Nouvelle Évangélisation.
Mais l’itinérance à laquelle nous invite Jésus va sans doute plus loin. Elle consiste à n’avoir ni argent, ni sacs, ni sandales, aucune de ces sécurités qui vous rassurent et vous donnent le sentiment de ne manquer de rien. Or il faut nous laisser déconcerter par l’attente des foules sans pasteur, prendre en pleine face leur colère, leur ironie, leur cynisme… Accepter que notre message, bien empaqueté, aseptisé, n’ait rien à dire aux passants, afin qu’ils n’aient même pas de questions auxquelles nous ne pourrions répondre, mais qu’ils soient traversés d’un désir obscur d’autre chose, d’un horizon inédit de liberté devant lequel nous restons désarmés. Loin de moi, bien entendu, l’idée qu’il faudrait remettre en cause le dépôt de la foi que nous avons reçu pour le mettre au goût du jour ou l’habiller d’oripeaux pris aux idées ambiantes pour le faire accepter. Cette expérience se termine toujours mal car elle substitue aux clichés d’hier ceux d’aujourd’hui, aussi fades et décolorés que ces « chromos » qu’on épinglait jadis dans nos cuisines.
Rien à faire, ce qu’il nous faut, si on veut répondre à l’appel, c’est bien d’aller manger à la table des pécheurs, c’est d’accepter de connaître la défiguration d’un monde sans Dieu, ramené à l’utilitaire et au plaisir fugitif et là, d’annoncer la Croix vivifiante du Sauveur, mobiliser tous les trésors et les ressorts de la prière de l’Église et de l’expérience des saints pour dire l’indicible, l’incroyable, une folie, plus folle que les sottises du monde, qui entraînera derrière elle ceux qui n’attendaient que cela, mais restaient sur le bord, espérant que l’eau s’agite, comme le paralysé de Bethesda (Jn 5,7). À ceux-là, il faudra pouvoir dire nous aussi : « Veux-tu guérir ? » et faire en sorte que cela arrive.
D. Christophe GRANVILLE