Les anciennes piles de l’aqueduc de Fréjus nous transportent dans l’histoire, sur un gigantesque chantier : l’aqueduc de Mons qui, sur une distance de
41 km, a convoqué d’innombrables ingénieurs et ouvriers qui ont creusé, taillé, édifié, bâti, terrassé, la roche, la terre, la brique et le mortier des jours et des jours durant… Un chantier colossal mais semblable à une petite goutte d’eau plongée dans l’océan de l’histoire du travail de l’homme. De la peine, de la fatigue, de la sueur, des forces, du sang, des blessures, de la répétition, des épuisements, des lassitudes, des coups de fouet et des salaires, des morts et des vies, de la concentration, de la réflexion, des calculs, du travail, toujours du travail, sans cesse du travail.
Le travail est le principal métronome de nos vies, de nos familles, de nos villes. Il règle la cadence de nos journées, mais aussi la nature de nos relations, et occupe une grande part de nos cogitations.
Il est parfois objet d’une trépidante passion, ou cause de discorde dans les familles, occasion de dépression aussi. Il est omniprésent, d’une présence éclatante et orgueilleuse, d’une présence cachée et apparemment insignifiante, rémunéré ou non, gratifié ou non, l’incapacité à travailler est souvent vécue comme une épreuve.
Une telle activité de l’homme peut-elle être indifférente à Dieu, à l’Église ? Certes non !
En 1955, à l’occasion de la fête du travail du 1er mai, le pape Pie XII institue la fête de Saint Joseph artisan. Il apporte donc à cette date symbolique une portée spirituelle, afin qu’à partir de cette réalité humaine du travail, le regard de l’homme et son âme puissent s’élever vers Dieu.
En effet, comme le 1er mai était le premier jour de l’année comptable des entreprises, des ouvriers américains, en 1888, en feront une journée de revendication salariale et syndicale. Elle sera rapidement adoptée par les français en 1890, puis deviendra chômée en France en 1919 et fériée en 1941.
Ainsi, pour les catholiques, cette « fête du travail » est associée à la fête d’un saint travailleur, le père putatif de Jésus : Saint Joseph. Il nous engage à faire de notre travail un lieu de sanctification. Le travail est au service de l’homme et de sa sainteté, et non pas l’homme au service du travail. Honnête et digne, son salaire ou sa reconnaissance doivent être justes. « Au service de l’homme », c’est à dire au service de sa dignité et la dignité de l’homme est justement de participer à l’œuvre de Dieu. Car oui, le chrétien sait qu’en travaillant, il participe à l’œuvre créatrice de Dieu sans cesse en voie d’achèvement. En travaillant, il réalise le dessein de Dieu sur lui, sur le monde et sur l’Église.
Par ailleurs, avec Saint Joseph, la proximité du travail avec Jésus Enfant se fait davantage inspirante : « Grâce à son atelier où il exerçait son métier en même temps que Jésus, Joseph rendit le travail humain proche du mystère de la Rédemption. » (Pape François, Redemptoris Custos, 22)
Profitons de cette journée chômée pour prendre de la hauteur vis à vis de notre travail et oser le remettre à sa juste place : ni trop, ni pas assez, il est un serviteur, un moyen pour une vie bonne, pour vivre avec et pour le Seigneur, comme Saint Joseph et l’enfant Jésus, durant leurs si longues années cachées dans leur atelier.
L’Ecclésiaste, dans la Bible, demandait « Que restera-t-il à l’homme de tout son labeur pour lequel il s’est donné tant de peine ? » Il en restera beaucoup s’il s’agit au fond d’édifier le Royaume de Dieu ! Charles Péguy déclarait quant à lui à propos des bâtisseurs de cathédrales : « Ils disaient en riant et pour embêter les curés, que travailler c’est prier et ils ne croyaient pas si bien dire, tant leur travail était une prière. »
Abbé Jean-Baptiste MOUILLARD