Par cette phrase, Jésus échappait au piège tendu par ses adversaires. Il fondait aussi un ordre mondial nouveau, dans lequel le domaine religieux n’est pas directement lié au pouvoir politique, et réciproquement, le pouvoir politique n’est pas directement divinisé. Car César aussi “est à Dieu”, comme créature ; s’il s’affranchit de Dieu, c’est qu’il se prend pour divin.
Jésus, lui, en échec politique apparent, crucifié et appelant à le suivre ainsi, est cependant pour toujours le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs. Tout pouvoir lui a été conféré au Ciel et sur la terre. (Mt 28,18).
Il ne vient pas prendre la place d’un roi terrestre, son Royaume n’est pas de ce monde (Jn 18,36). Mais « il règnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin. » (cf Dn 7,14 et Lc 1,33).
Depuis 2000 ans, Jésus donne à César sa légitime autonomie pour régir la cité, le pays, les peuples, sans que le pouvoir politique empiète sur l’adhésion des hommes à Lui, Jésus-Christ. Sans que l’adhésion par la foi devienne un moyen politique pour régir les nations. Il y a eu quelques papes ou hommes d’église qui ont pu céder à cette tentation. Il y a eu beaucoup d’empereurs et de princes qui ont largement pratiqué cela.
« Asseoir la foi par le pouvoir » dit Benoît XVI dans son commentaire de l’évangile (Jésus de Nazareth, t. 1, p. 59.62), « et la foi a toujours connu le risque d’être étouffée par le pouvoir ; (…) La foi doit se mettre au service du pouvoir et se plier à ses critères. » Qui seront politiques et non plus pour que les hommes adhèrent librement au Roi des rois.
César rêve de pouvoir régir les peuples et les unifier sous sa coupe par l’adhésion à la même foi. Ou alors les scinder de la catholicité en créant des pouvoirs religieux inféodés au pouvoir politique. Combien de nations vivent ainsi !
Le comble serait un pouvoir mondial qui voudrait inféoder toute l’église catholique.
Il suffit pour cela de vouloir que la religion réunisse les peuples. Mais alors on ne va plus parler de Jésus, car il divise. On ne va plus non plus parler de Dieu, car il divise aussi (ou pousser à dire fallacieusement : “on a tous le même Dieu !”). On va plutôt parler de l’“avènement du Royaume”. Sans dire bien sûr qu’il s’agit d’un gros mensonge, pour inféoder le monde sous un seul pouvoir avec une religion assez commune.
Aujourd’hui, poursuit Benoît XVI (p. 74), la façon d’étouffer la foi dans le pouvoir politique se fait sous une forme subtile : il faut réduire le christianisme à une recette apportant le bien-être à toute l’humanité. L’avènement du Royaume désigne l’avènement d’un monde où règnent la paix, la justice, la fraternité et la préservation de la “maison commune”.
« Bavardage utopique », dit-il (p. 75). Et même « imposture de Satan » (p. 63). Les valeurs sont réelles, mais c’est juste un masque du loup déguisé en agneau (Mt 7,15 ; Ap 13,11).
Car « …ce que l’on constate surtout, c’est que Dieu a disparu et que l’homme est seul à agir. Le respect [des valeurs comme paix, justice, et] des traditions religieuses n’est qu’apparent. (…) La foi, les religions, se trouvent instrumentalisées à des fins politiques. Aménager le monde est la seule chose qui compte. La religion n’a d’importance que dans la mesure où elle peut servir à cela. » (p. 75-76).
« Une imposture religieuse » : c’est aussi l’expression qui est employée par le Catéchisme de l’église catholique, § 675. Un César mondial réduisant Dieu à l’agonie, sans toucher aux apparences. Avoir définitivement inféodé Dieu en un nouvel ordre mondial.
Mais Jésus échappera encore au piège tendu par ses adversaires.
L’Ennemi sera brisé en sa révolte (Ps 8,3) et Jésus établit encore son Règne dans nos cœurs par la joie de la vraie Foi, « jusqu’à ce qu’Il vienne », Lui, en Personne, et non pas un “Royaume” séducteur et faux.
D’ailleurs ces deux avènements, le faux puis le vrai Christ, doivent se succéder en un laps de temps assez court. « Amen ! Viens, Seigneur Jésus ! »
Don Laurent LARROQUE