L’évangile de Marc est dominé par cette question.
Dès la première intervention de Jésus à Capharnaüm, les gens s’interrogent : « Qu’est ce cela ? Un enseignement nouveau, donné d’autorité ! Même aux esprits impurs, il commande et ils lui obéissent ! » » (Mc 1,27). « Qu’est ce cela ? », cela veut dire aussi : « qui est celui-ci pour faire cela ? » Et encore un peu plus loin, lors du pardon du paralytique : « Comment celui-là parle-t-il ainsi ? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? » (Mc 2,7). “Qui est-il donc pour pouvoir remettre les péchés ?” Et encore un peu plus loin, lors de la tempête apaisée (Mc 4,41) : « Qui est-il donc celui-là, que même le vent et la mer lui obéissent ? »
Ces différents passages se terminent par cette question qui reste encore sans réponse. Jusqu’à Mc 12,35-37, où l’on retrouve la question posée par Jésus lui-même : « qui donc est le Messie, “le fils de David”, si David lui-même l’appelle “son Seigneur” ? » C’est encore sans réponse, car il faut que le lecteur de l’Evangile soit capable de la faire par lui-même. « Pour vous, qui suis-je ? », cela veut dire aussi : « Pour toi, toi qui me lis, qui suis-je ? »
C’est que Jésus voudrait bien une réponse personnelle de chacun de nous.
Cependant, la réponse est donnée par Pierre dans l’Evangile de ce dimanche : « Tu es le Christ », c’est-à-dire le Messie promis par les Ecritures.
Mais curieusement, Jésus ne veut pas que cela se sache tout de suite : « alors il leur défendit vivement de divulguer cela ! » Pourquoi ? Toujours parce qu’il faut que chacun puisse faire son chemin personnel.
Une deuxième réponse sera encore donnée par le centurion romain, au pied de la Croix, au moment de la mort de Jésus : « vraiment cet homme était fils de Dieu ».
Ce soldat romain rejoint le sommet de la Révélation de Dieu, au moment, paradoxalement, où Il se cachait le plus : il a dû pressentir que Jésus ne faisait pas que mourir sur la Croix ; il y donnait sa vie par amour.
Jésus ne voulait pas qu’on confonde sa mission de Messie avec ce que les gens s’imaginaient sur le Messie : ils pensaient à un Messie chef politique, fait pour dominer matériellement le monde. Même après sa mort et sa Résurrection ses disciples seront encore là à demander : « alors, c’est maintenant que tu vas enfin établir ton royaume en Israël ? » (Ac 1,6). C’est aussi pour cela que Pierre, qui vient juste de comprendre que Jésus est le Christ, ne comprend pas ce que dit Jésus lorsqu’il annonce immédiatement sa mort et sa Résurrection : “mais non, ne dis pas de bêtises, cela ne doit pas arriver au Messie que tu es, tu dois forcément dominer par la force !” Et c’est là que Pierre se fait remettre en place fortement : “tu es pour moi la voix de Satan, qui veut m’empêcher de réaliser le plan de Salut selon les pensées de mon Père et non selon les pensées des hommes ! Cela doit passer par la croix, par amour, pour moi comme pour vous à ma suite !”
Oui, il en est de même pour l’Eglise de tous les temps : nous rêvons pour Elle d’une puissance humaine, alors que nous sommes disciples de l’Agneau de Dieu, immolé pour un salut et un royaume spirituels, pas pour une seule nation et pour un seul temps, mais pour toutes les nations et pour tous les temps : « royaume de vie et de vérité, royaume de grâce et de sainteté, royaume d’amour, de justice et de paix » (Préface du Christ-Roi). “Pour cela je vous envoie les mains nues, comme des agneaux vous aussi, au milieu des loups : si vous faites confiance en ma toute-puissance absolue et jamais prise en défaut, ce royaume s’établit et s’établira encore. C’est celui de l’Amour et il doit s’établir par amour”.
Étonnant projet de ce Dieu qui veut mon amitié et me propose la sienne. L’amitié divine est un grand mystère. Je préfère chercher et découvrir, plutôt que de passer ma vie à la “prendre” pour moi, et aboutir à un ratage, parce qu’il fallait comprendre que la vie ne vaut la peine d’être vécue que si elle est donnée. Merci Jésus d’être le sens de ma vie, de la Vie.
Don Laurent LARROQUE