En 2019, Terrence Malick présentait son dernier film « Une vie cachée ». Un chef d’œuvre saisissant pour qui se laisse habiter par l’indicible débat intérieur de son héros : la conscience et la mort ou la peur et la vie. Une certaine mort. Une certaine vie.
Notre héros, Franz Jägerstätter a été reconnu comme martyr et béatifié par Benoit XVI en 2007. Guillotiné par l’Allemagne nazie en 1943, à l’âge de 36 ans, cet autrichien n’a jamais fait parler de lui. Sauf dans la petite assemblée de son village rural, dans un tumulte effroyable où il était le seul à voter contre l’Anschluss et hésitait à prêter serment à Hitler.
Le film décrit avec une grande finesse psychologique et spirituelle la solitude et le drame intérieur de Franz : dois-je prêter serment et sauver ainsi l’honneur de mon village, de ma famille, conserver ma vie et les moyens de subsistance des miens ? Ou dois-je refuser de prêter serment, accepter humiliations, culpabilisations et tortures, puis la mort et que devienne veuve ma femme et orphelines mes 3 petites filles ?
Sur le moment, le choix radical de ce témoin solitaire n’a été quasiment connu de personne. Il n’a eu aucun impact, ni sur le régime, ni sur le cours de la guerre, ni sur l’histoire du monde. Une mort cachée pour une vie cachée. Toutes deux apparemment insignifiantes.
En blanc sur fond noir comme un épitaphe, après l’ultime et obscure glorification de la conscience, au simple son d’une lame qui tombe, après des vues de paysages magnifiques et grandioses, envouté par une musique sublime, Terrence Malick a choisi de citer la romancière George Eliot : « La croissance dans le bien du monde dépend en partie d’actes non historiques, et le fait que les choses n’aillent pas aussi mal pour vous et pour moi qu’il eut été possible, est à moitié dû à ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et qui reposent dans des tombes que l’on ne visite plus ».
Juste avant, en voix off, on avait entendu Franziska, la femme de Franz : « Un jour viendra où nous connaîtrons la raison à tout cela, nous saurons pourquoi nous vivons ».
Une vie cachée dans un monde douloureux. Une autre vie cachée qui reproduit, de génération en génération, le mystère de ce qui fut caché, de ce qui est sacré : « votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ » (Col 3, 3). Jésus-Christ, lui-même caché, insignifiant, dans la simple crèche.
Si Noël est la grande fête de la joie, de l’amour, de la beauté et de la vie, c’est justement parce que l’obscurité de la crèche – de notre monde – est habitée désormais par la source de la lumière. Elle qui illumine et qui jaillit en rayons infinis de clarté et de grâce sur tout ce qui languit et gémit en attente de rédemption.
La Bonne Nouvelle de Noël demeure à jamais un évènement caché aux grands et aux orgueilleux qui s’offusquent et se scandalisent encore aujourd’hui de ce que cet évènement ait pu avoir lieu. La paganisation de Noël et ces mairies tremblantes et terrifiées devant les humbles représentations de la crèche en témoignent : Dieu, dans notre histoire.
A nous, chers frères et sœurs, de faire vivre dans l’humilité de nos vies cachées, le jaillissement immense et fécond de la présence de Dieu. Présence de joie, d’amour et de vie au cœur de nos villes et de nos familles, dans nos choix de conscience parfois héroïques mais souvent cachés, dans nos petites et nos grandes actions.
« Un enfant nous est né, un fils nous est donné », « un jour viendra où nous connaitrons la raison à tout cela ». Juste un enfant. Tout petit. Caché.
Qu’Il nous bénisse, Saint et Joyeux Noël !
Père Jean-Baptiste MOUILLARD