Le Mal – en politique

Le Mal – en politique

Le Mal – en politique 150 150 Paroisses de Saint-Raphael

—— « Eichmann à Jérusalem », 1963.
Il y a 60 ans cette année, une journaliste philosophe et politologue juive défrayait la chronique. Elle venait de qualifier le très fameux logisticien de la « solution finale » de la Shoah –dont elle avait intégralement couvert le procès– de « banal ». Le mot était lancé. Il provoqua contre sa personne une violente salve d’insultes et d’injures, jusqu’à l’obscène. Si derrière cette colère il pouvait y avoir de l’incompréhension
–celle de croire que ‘banal’ signifierait ‘sans importance’– cette réaction dépassait non seulement la bienséance, mais encore l’entendement. N’y avait-il pas dans cette disproportion l’expression du Mal lui-même, révolté d’être ainsi mis en lumière ?
Car de fait il n’y a pas d’opposition entre l’horreur du mal exercé, et la modalité de son exercice, factuellement constatée par Hannah Arendt comme étant « banale ».
Pour notre philosophe, le mal est bien sûr « radical ». Mais, selon un procédé politique qu’il conviendrait d’analyser, ce mal radical se réalise sous les dehors d’une sinistre banalité.
En témoigne le procès de Jérusalem en 1961 : tous s’attendaient à l‘affreux spectacle d’un « ogre » dans sa cage de verre du tribunal de Jérusalem, un monstre, puissant, ignoble, maléfique, digne des millions de meurtres qui lui étaient imputés. On ne vit en fait qu’un « petit fonctionnaire », « insignifiant », qui avait simplement accompli son travail, qui avait simplement abdiqué de son pouvoir de « penser ». Il en était devenu incapable de former le moindre jugement moral. « Les seuls responsables, se défendra-t-il, ce sont mes chefs, ma seule faute a été mon obéissance ». Petit. Banal.
—— « Du mensonge en politique », 1969.
Plus tard, dans un autre contexte, encore terrifiant, Hannah Arendt se demande gravement : « comment ont-ils pu ? ». Préalablement, elle montre de manière rationnelle et historique que « le mensonge a toujours été considéré comme un moyen parfaitement justifié dans les affaires politiques ».
Mais tout de même… « comment ont-ils pu ? » Comment ont-ils pu accepter des millions de morts (notamment ici ceux de la guerre du Viet Nam) en se fondant sur le mensonge ?
Arendt écrit : « un lien existe entre la tromperie et l’autosuggestion » : « plus un trompeur est convaincant et réussit à convaincre, plus il a de chance de croire lui-même à ses propres mensonges ». « Le dupeur qui se dupe lui-même perd tout contact (…) avec le monde réel ».
Et revient alors notre thème : « Les spécialistes de la solution des problèmes (ainsi appelle t-elle ironiquement les hommes d’administrations politiques) n’appréciaient pas, ils calculaient. »
—— Au pays des Droits de l’Homme, 2023.
Il m’est souvent bien difficile d’envisager de la mauvaise foi chez les menteurs d’envergure et autres pervers de toutes sortes. Mon excessive naïveté en est surement responsable.
Hannah Arendt, avec ses concepts de « banalité du mal », et « d’autosuggestion dans la tromperie », me permet de concilier – un peu – cette naïveté avec l’épouvantable objectivité du mal organisé, politique.
À l’heure où l’on parle de légaliser la mise à mort de personnes censées l’avoir demandée (l’euthanasie), à l’heure où l’on parle aussi d’inscrire dans la Constitution un droit à mettre à mort d’autres personnes qui n’ont pas encore de voix pour le demander (l’avortement), il est salutaire et urgent de renouer avec notre dignité, notre capacité et notre devoir de « penser ».
Ainsi seulement nous pourrons « apprécier », sans nous laisser abuser par les «  calculs ».
La dramatique banalité du mal est à notre porte. Aujourd’hui. Ici. Chez nous.
« Dieu dit : Demande ce que tu veux que je te donne. Salomon réplique : Donne à ton serviteur un coeur intelligent pour juger ton peuple, pour discerner entre le bien et le mal. » 1 R 3,9.

Abbé Jean-Baptiste MOUILLARD

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