Bien souvent nous voulons nous en sortir par nos propres forces : “laisse, je gère.” Nous voulons réussir chacun par soi-même pour prouver, à soi et aux autres, que nous en avons la capacité : ainsi le fils de la parabole qui veut réussir sa vie loin du père. Il est l’image de l’humanité, qui a voulu vivre en autonomie, sans Dieu, depuis le péché de nos premiers parents. Ce désir d’indépendance est une façon d’affirmer sa dignité et, pourtant, c’est justement par cet acte d’affirmation de soi que la dignité est perdue. Pour avoir voulu s’affirmer comme sujet libre, le fils devient gardien de porcs, moins bien nourri qu’un esclave. Dans nos péchés d’orgueil, c’est justement quand nous voulons nous élever que nous nous abaissons. La liberté absolue est un leurre : celui qui ne veut pas servir Dieu devient esclave du diable, mauvais maître qui nous méprise d’autant plus que nous lui avons obéi.
Si la dignité de l’homme ne réside pas dans l’indépendance, elle ne réside pas non plus dans la puissance, la capacité à suivre ses désirs, à faire ce que l’on veut. Parce qu’il ne sait pas mettre un frein à ses appétits, le fils prodigue est mené à la ruine, au point de ne plus pouvoir satisfaire ses besoins les plus basiques. Cette tendance à perdre la liberté en voulant l’affirmer est caractéristique de l’époque de la “jouissance sans entraves” : les limites sont justement ce qui permet de ne pas devenir l’esclave d’un appétit toujours plus puissant à force de ne pas être contenu. Mais, en réalité, cette tendance est celle de toutes les époques, depuis qu’Adam et Eve n’ont pas voulu résister à l’attrait du fruit défendu.
La dignité ne réside pas non plus dans le fait d’obéir à la loi de Dieu. Jésus pour sa parabole a volontairement choisi deux fils pour nous montrer deux écueils symétriques. L’aîné par son obéissance extérieure aux règles de la bienséance espère une récompense. Cela lui pèse d’être un bon fils et il préférerait pouvoir faire la fête avec ses amis sans sa famille. Il est “soumis”, au mauvais sens du terme. Ce n’est pas cette relation, ultimement intéressée, que Dieu veut entre nous et Lui, mais celle de l’amour filial. Celui qui est enfant de Dieu fait le bien parce que celui-ci jaillit de son cœur rendu bon par l’Esprit-Saint qui nous a été donné, et non en se forçant pour essayer par là de mériter un amour qui, de toute façon, ne peut être que gratuit.
En réalité, la dignité de l’homme ne dépend pas de ce qu’il fait mais lui est donnée gratuitement par Dieu, indépendamment de tout mérite préalable. Dieu n’a pas peur de nous aimer alors que nous sommes pécheurs, que nous nous sommes volontairement coupés de Lui, parce qu’Il sait que son amour transforme et rend bon ce qui ne l’était pas au préalable. La miséricorde n’est pas une faiblesse de papa-gâteau, parce qu’elle change celui qui la reçoit pour le rendre digne de ce don. Notre dignité, c’est l’adoption filiale qui fait de nous des enfants de Dieu par les mérites de Jésus-Christ. C’est la seule chose qui a vraiment de la valeur, et elle ne s’achète pas. Demandons donc à Dieu de comprendre que ce ne sont ni la liberté individualiste, ni la capacité de faire ce que l’on veut, ni l’obéissance extérieure à des règles qui fondent notre dignité, mais le don de la grâce qui nous rend amis de Dieu.
Don Axel de PERTHUIS