L’évangile commence le jour même de la Résurrection de Jésus, le premier jour de la semaine. Les disciples sont toujours sous l’emprise de la peur qui les a conduits à s’enfuir lors de l’arrestation de Jésus au jardin des oliviers. Ils l’ont lâchement abandonné et l’ont laissé mourir tout seul. Ils sont enfermés et n’osent pas sortir par crainte des juifs. Ils espéraient que Jésus rétablirait le Royaume d’Israël mais il ne reste désormais plus grand-chose de leur foi en Jésus. Pourtant, Jésus leur avait annoncé par trois fois qu’il devait souffrir et mourir pour ensuite ressusciter. Mais, leur intelligence n’était pas capable de le concevoir. Ils ne pouvaient pas comprendre ce que Jésus entendait par « ressusciter d’entre les morts ». A la limite, ils pouvaient imaginer une vie de l’âme dans un au-delà meilleur. C’est donc pour eux une expérience bouleversante de voir le Christ vivant, en chair et en os. Ils l’entendent, sentent son approche, éprouvent la résistance de son corps, mettent le doigt dans ses mains, la main dans son coté. Et pourtant, en même temps, ils voient que Jésus, n’appartient plus à ce monde : il peut traverser les murs, apparaitre et disparaître. Il bouge avec une liberté nouvelle, inconnue sur terre. Jésus garde à travers ses plaies les traces dans son corps de sa vie vécue, mais de manière transfigurée. Le cadre de pensée des disciples explose lors de la rencontre avec Jésus ressuscité.
En effet, personne ne pouvait imaginer que Dieu-fait-homme garde son corps pour toujours. Il est donc normal que Thomas ait eu du mal à croire. Il est normal que notre intelligence ait du mal à accepter l’idée d’une résurrection corporelle. Pourtant, cette idée a traversé 2000 ans d’histoire et est aujourd’hui crue par 2,5 milliards de personnes. Presque un tiers de la population mondiale croit que cet homme, Jésus, mis à mort sur la croix il y a 2000 ans, est aujourd’hui vivant, avec son corps, fait de chair et d’os, dans une forme de vie nouvelle. Comment comprendre qu’une idée aussi difficile à croire, si décalée par rapport à notre logique humaine, soit devenue le fondement de la vision de la vie de tant de personnes ? C’est le mystère de la foi, cette grâce que nous donne le Seigneur pour croire à la vérité. Personne ne peut croire à la Résurrection si Dieu ne lui donne pas d’y croire par une grâce spéciale. Comment pouvons-nous accéder à cette foi, à cette grâce de croire ? Si Saint Thomas, qui a connu Jésus, a eu besoin de le voir pour croire en la résurrection, comment pouvons-nous y croire sans voir ?
La tentation de Saint Thomas est de se prendre soi-même pour la mesure de toutes choses, avec mon existence humaine telle qu’elle est, avec le monde tel qu’il m’entoure, avec ma manière de penser, de sentir et de juger Jésus à partir de là. Alors, la Résurrection ne rentre pas dans mon cadre de pensée et je ne peux pas y croire. Mais si je base ma foi sur Jésus, alors j’inverse ma manière de penser : non plus à partir de moi-même, mais à partir du Christ. Si Jésus est ressuscité, alors c’est que moi aussi je vais ressusciter, que cela me paraisse fou ou pas.
Notre foi tient ou s’écroule selon que l’on admet la résurrection de Jésus ou non. En effet, comme le dit Saint Paul : « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine, et nous sommes les plus malheureux de tous les hommes » (1 Co 15, 17-19). Si nous cessons de croire à la réalité de la résurrection, au Christ vivant et actif dans notre quotidien, notre foi se transforme en un système de valeurs chrétiennes, en une morale assez maigre, une pratique religieuse sans consistance. Alors, notre existence n’a d’autre mesure que notre vie sur terre avec, peut-être, une pauvre espérance de survie de l’âme dans un au-delà flou et peu attirant. Si, au contraire, Jésus est vivant en chair et en os et qu’il partage notre existence humaine tout en étant divin, alors la mesure de notre vie est celle de l’éternité de Dieu. C’est-à-dire que nous sommes dans la pensée de Dieu depuis toujours et que nous continuerons la vie commencée dans ce monde dans l’autre monde. Là, nous aurons nos corps mais, il n’y aura plus de peine ni de souffrance, simplement le bonheur d’aimer et d’être aimés. La mort devient alors un passage, certes long et douloureux dans l’attente de la résurrection, mais qui ne réduit en rien l’horizon de nos existences. Si la résurrection est le fondement de notre vision de la vie, alors notre sentiment d’existence n’aura pas d’égal, la paix sera toujours avec nous !
D. Louis Gustave de TORCY